Le papier albuminé est un procédé inventé par Louis Désiré Blanquart-Evrard, chimiste et photographe français basé à Lille. Ce procédé est l’amélioration du tirage sur papier salé mis au point en 1842 par Talbot, et utilisé dans son procédé photographique intitulé le Calotype.
De la chimie à la photographie
Blanquart-Evrard, naît dans les quartiers populaires de Lille en 1802. Il excelle durant sa jeunesse dans les arts, où il remporte d’ailleurs plusieurs prix dans des salons et concours de peinture à l’huile. Mais à côté de cette passion, il est également étudiant en chimie à, ce qui deviendra plus tard, l’Ecole Centrale de Lille. Il est rapidement remarqué pour ses talents en chimie par un certain Frédéric Kuhlmann, président et fondateur des établissements Kuhlmann, immense groupe industriel français créé en 1825. Ce dernier fait de lui son assistant dès l’année suivante.
En 1840, à cheval entre les arts et les sciences, Blanquart-Evrard se fascine pour le Daguerréotype. Il produit, grâce à cette technique, les premières photographies connues de Lille. Mais, tout comme d’autres artistes, il prend vite conscience des limites de cette méthode qui ne permet pas de créer plusieurs exemplaires d’une même image. Il s’intéresse alors au Calotype, un autre procédé photographique, inventé en 1842.
Cette méthode, mise au point part Talbot en Angleterre, présente malgré tout elle aussi un problème. Contrairement au Daguerréotype, elle ne produit pas des images d’excellente qualité. Elle créée des photographies négatives qui sont ensuite tirées grâce à la méthode du papier salé. Fatalement, cette technique fait apparaître les traces des fibres du papier sur lequel l’image est produite. Blanquart-Evrard se penche alors sur cette problématique afin d’en améliorer le résultat.
Du papier salé amélioré
Il présente, en 1847, ses recherches à l’Académie des Science de Paris. Il y explique sa méthode de création de tirages photographiques. Le blanc d’un oeuf de poule est composé en grande partie d’albumine, une protéine produite par le foie des mammifères, qui y joue le rôle de liant. Cette protéine, en contact avec le papier, agit alors comme une couche venant remplir toutes ses imperfections. Le papier est alors très lisse, idéal pour y tirer une photographie.
L’albumine des œufs est assez simple à récupérer. Pour cela, il suffit de battre les blancs en neige avant de les laisser poser pendant 24h. Les blancs vont alors retomber, et une partie va à nouveau se liquéfier. Ce liquide, une fois récupéré, est alors très concentré en albumine, et peut être immédiatement utilisé sur le papier.
La technique du papier albuminé reprend en fait presque en tout point celle du papier salé. Simplement, Blanquart-Evrard, dans son procédé, en modifie la première étape. Dans la recette originale de Talbot, la première couche appliquée sur le papier est composée d’eau et de chlorure de sodium. Ici, l’eau est remplacée par l’albumine des œufs de poule. Elle va participer à venir créer une couche bien lisse à la surface du papier afin de permettre de capter tous les détails du négatif posé à sa surface lors du tirage.
L’industrialisation de la photographie
D’abord traité de faussaire par les médias anglais pour avoir repris le procédé de Talbot, puis de menteur par la presse française quand il raconta qu’il était désormais possible de reproduire des photographies en grandes quantités, tout en réduisant ses coûts. Il se lança un immense défi. Face à ses détracteurs, il souhaite démontrer que son procédé est viable.
En 1851, Blanquart Evrard créé L’Imprimerie Photographique, la première imprimerie de photographie industrielle de l’histoire. Il estime alors être capable de produire, à partir d’un négatif, 200 à 300 tirages positifs par jour, chacun vendu autour des 2.50 francs pièce. Dérisoire comparé à une photographie en exemplaire unique du Daguerreotype.
Même si elle a d’abord été largement moquée, l’invention de Blanquart Evrard, puis son imprimerie, ont eu un immense impact en France et dans le monde. Grâce à ses nombreuses reproductions, pour la première fois de l’histoire, une personne, même issue des classes moyennes, pouvait observer des images des quarte coins de la planète prises par des voyageurs et des explorateurs. Pour la première fois, les peuples du monde avaient la possibilité de voir les monuments de Paris, les pyramides d’Egypte ou encore la grande muraille de Chine.
Le nouvel art
Suscitant la curiosité des foules, il réussit à vendre bon nombre d’ouvrages photographiques créés par son imprimerie. Mais il ne s’arrête pas là pour autant. Décidé à rendre la photographie accessible à tous, il se met en tête de réduire drastiquement ses coûts de fabrication en améliorant son procédé puis en mettant en place le travail à la chaîne. Ainsi, entre 1851 et 1855, il divise par deux le prix de ses tirages, s’établissant maintenant à 1.20 francs le tirage, soit, à cette époque, tout juste le prix de deux douzaines d’oeufs.
Fort de ses améliorations, et ayant été moqué par la presse à de nombreuses reprises, il se met en tête de prouver à ses détracteurs les vertus de son procédé. Il propose alors à la revue d’art et de science, La Lumière, de fournir à chaque lecteur, une photographie préalablement tirée sur le journal, dans le but d’en venter les qualités. Malheureusement, ces images étant arrivées délavées, probablement dû à un problème de fixation, les éloges attendues se sont alors, une fois de plus, transformées en vives moqueries.
En 1855, il obtient un stand à l’Exposition Universelle de Paris, situé au Palais de l’industrie, au bord des Champs-Elysées (à l’emplacement actuel du petit et du grand palais). Si les artistes sont parqués non loin de là, au palais des beaux-arts, Blanquart Evrard se décrit aux organisateurs comme un imprimeur-photographe, et obtient ainsi le droit de paraîtres au côté des éditeurs de livre.
Fort de sa nouveauté, L’imprimerie Photographique et ses 17 ouvrages font un immense carton à l’exposition. C’est plus de 5 millions de visiteurs qui croisent ces photographies du bout du monde au coût réduit. Au final, cet événement a sans doute été l’un des plus gros tremplin pour la photographie. Jusqu’alors considérée comme outil hors de prix, et placé au même niveau que les peintures, ou les sculptures, la photographie était finalement devenue un moyen de découvrir le monde pour un prix bien plus abordable que les oeuvres produites en exemplaires uniques.
A côté de la photographie des amateurs, il y a l’art d’imprimer par la photographie. Je me présente à l’exposition comme imprimeur-photographe, afin de prouver que cet art nouveau n’est pas une fiction, mais une réalité bien positive.
Lettre de Louis Désiré Blanquart Evrard aux organisateurs de la première Exposition Universelle Française à Paris en 1855
Au final, si Blanquart Evrard n’est pas vraiment considéré comme un artiste à proprement parler, il est le premier à industrialiser les reproductions photographiques.